L'art japonais du haïku 俳句
Haïku, un poème pour la fragilité de l'instant
Le haïku, poème court japonais composé de trois vers, se caractérise par sa brièveté et le reflet d'un instant fugace lié aux sensations, ainsi qu'aux saisons. Il est une forme d'art centenaire, particulièrement appréciée au Japon et exportée à l'étranger, pratiquée par de nombreuses personnes.
Qu'est-ce qu'un haïku ?
Le haïku pourrait à lui seul définir la poésiejaponaise tant ce genre stylistique est renommé à travers le monde. Le haïku est un poème très courtet comportant certains codes. Sa forme classique est constituée 17 mores, réparties en trois segments de 5, 7 et 5. La more est une unité phonique, plus fine que la syllabe. Cette notion est difficile à saisir avec la langue française, qui ne fait pas ou peu appel aux mores (étant très peu rythmée et ne possédant presque pas d'accentuation tonique), au contraire du japonais qui est une langue dite "morique".
Le haïku contient en outre une césure (en japonais, le kireji) à la fin du premier ou du deuxième vers. En français, les mores sont remplacées par les syllabes.
Au-delà de cette analysechirurgicale, cette forme poétique s'attache au rendu d'une émotion souvent liée aux sensations que procurent un instant fugace de la vie quotidienne. Un haïku doit être rapide et concis, ne doit pas décrire, mais évoquer. Il peut parfois comporter une forme d'humour.
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Les kigo, éléments du haïku
Dans sa forme traditionnelle, le haïku doit évoquer une saison, en utilisant des kigo, qui sont des mots associés à une saison donnée dans la langue japonaise. Il peut s'agir tout simplement d'éléments typiquement associés à une saison bien particulière, par exemple le hanami (la contemplation des fleurs de cerisiers propre au printemps), les cigales (semi), qui chantent en été, la récolte du riz (inekari) qui a lieu en automne, ou encore les feuilles tombées (ochiba) en hiver. Il est ainsi logique que chaque langue, associée à un pays, possède ses propres kigo - par exemple, en France, on pourrait utiliser comme kigo les vendanges ayant lieu à la fin de l'été.
La lune (associée à l'automne) et le Nouvel An tiennent une place particulière dans la culturejaponaise, il est alors possible que la saison soit remplacée dans un haïku par l'un de cesthèmes.
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Les origines du haïku au Japon
C'est à Matsuo Bashô, célèbre haïjin (auteur de haïkus) du XVIIème siècle, que nous devons la forme la plus connue des haïkus. À l'origine, rien ne ledestinait à devenir poète. Guerrier pour la famille Yoshitada, il se prendd'amitié pour le fils animé par la pratique de la poésie. À ses côtés, ildéveloppe le goût de cet art et, à la mort de son ami, il revêt l'habit demoine pour parcourir le pays à la rencontre des poètes de l'époque. Bashôredéfinit les contours du poème alors appelé haïkaï.
Le haïkaï est unpoème plus long, composé de la partie 5/7/5 à laquelle vient s'ajouter un secondenchaînement. En le réduisant de sa moitié, il ne conserve que le premierenchaînement, appelé hokku. Ce n'est qu'au XIXèmesiècle, sous la plume de Masaoka Shiki,autre célèbre poète, que le nom de haïkuapparaît : une contraction des mots haïkaï et hokku.
Par la façon de traiter lesujet, un certain rapprochement est à faire avec la culturezen introduite au Japon aux alentours du XIIème siècle. Les notions de vide, de dualité, de l'instant présent pourraient effectivement faire penserà la pratique de la méditation zen. Cependant, nul besoin d'être moine zen pours'adonner au plaisir du haïku, commeen témoigne la longue liste des poètes célèbres.
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Les grands poétes du haïku
Matsuo Bashô (1644 - 1694)
Le premier des maitres classiques du haïku est souvent cité en exemple, avec un des haïkus les plus célèbres :
Un vieil étang
Une grenouille qui plonge,
Le bruit de l'eau.
Yosa Buson (1716-1783)
Peintre et poète à la fois, il accordeune grande importance au haïga, ce dessinaccompagnant parfois le haïku. À travers ses poèmes, il cherche à traduirel'essence des choses plutôt que leur apparence. Certaines de ses peinturespeuvent être admirées au Ginkakuji,le pavillon d'argent, à Kyoto.
Soird'automne -
Ilest un bonheur aussi
Dansla solitude.
Kobayashi Issa (1763-1828)
Auteur de plus de 20 000 haïkus, Issa sedétache du classicisme de Buson en souhaitant notamment donner une place àl'émotion personnelle.
Matinde printemps -
Monombre aussi
Débordede vie !
Masaoka Shiki (1866-1909)
Considérécomme le père du haïku moderne, dont il détermina le nom, il se détache du typeromantique d'Issa pour revenir à l'essence même du style où le réalisme et ledescriptif reprennent leurs droits. Le poème ci-après a été écrit lors de savisite au jardinKairaku-en.
Unefalaise raide
Les pruniers tous ensemble
S’inclinent
Tôta Kaneko (1919 - 2018)
Tôta Kaneko est une figure majeure du haïku du XXème siècle, notamment célébré pour son engagement pour la paix. Il a contribué à la création du haïku contemporain et a introduit la métaphore dans le poème court.
Le matin commence
La mort d’une mouette
Qui plonge dans l’océan.
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Comment est né le haïku moderne ?
Au fil des siècles, le haïku fera l'objetde quelques évolutions dues notamment à l'ouverture sur le monde, aux guerres, auxmutations de la société... Ainsi, alors que le Seconde Guerre Mondiale faitrage, le muki haïku, ou haïku libre fait son apparition.Décriés des puristes, ces poèmes ne mentionnent plus nécessairement la notionde saisonnalité, permettant ainsi aux poètes d'inscrire leurs émotions dans uncontexte nouveau, élargi et plus contemporain.
En effet, les saisons à ellesseules ne suffisent plus à refléter l'émotion d'un instant. Ainsi, certains haïjin décriront leurs blessures deguerres quand d'autres brosseront la vibrante activité industrielle du pays.Certains iront même jusqu'à s'affranchir du rythme imposé par la compositiontraditionnelle, permettant une souplesse qui favorisera une écriture plusspontanée.
Le haïku, et plus largement la poésie, ne sont pas des pratiques réservées à une élite. Que ce soit par l'existence denombreux clubs de poésie ou par la publication de haïkus dans les plus grands quotidiensdu pays, la poésie fait partie intégrante de la culture populaire japonaise.