Senjafuda : cartes des 1000 temples 千社札
Les cartes qui décorent mille temples japonais
Les temples bouddhiques japonais sont connus pour leurs obriété. Le brun patiné du bois, les pavillons où un Bouddha solitaire accueille les fidèles, les jardins zen minimalistes contribuent à la sérénité et à la simplicité de ces lieux de culte. Cependant, il n’est pas rare de voir desportes, des piliers, des poutres ou même des plafonds de temples entièrement couverts de papiers écrits : les senjafuda. P oèmes, prières, ex-voto, "cartes de visite", ils ont une longue histoire que nous vous proposons de découvrir.
Quelle est l'origine des senjafuda ?
L'origine de ces papiers nommés "senjafuda" remonterait au 10ème siècle, lorsque l’empereur Kazan (968-1008) aurait collé sur la porte d’un temple un poème qu'il avait écrit.
Cette idée fut alors reprise par les nobles de l'époque, qui avaient pour coutume de faire un pèlerinage dans trente-trois temples dédiés à Kannon, la déesse de la miséricorde. Ces pèlerins firent alors graver leur nom et une prière sur une plaque en bois qu’ils accrochaient aux portes des temples. Plus tard, les nobles accrochèrent aussi ces plaques de bois dans les sanctuaires shinto consacrés à Inari, le dieu du riz. De trente-trois temples, on passa à mille temples et sanctuaires !
Ces pèlerinages furent nommés senja mode(littéralement "visite de 1000 temples") d'où le nom de senja (1000 temples) fuda (carte) car l'habitude fut prise de laisser une prière et les pèlerins se mirent à coller des papiers sur les poutres et les plafonds des temples en gage de piété.
A partir de l'époque d’Edo(1603-1868), les gens du peuple commencèrent à faire des pèlerinages et voulurenteux aussi laisser une marque de leur passage dans les temples visités, pensant ainsi s'attirer les bonnes grâces des dieux. Ils se mirent à coller des papiers avec leur nom.
Ce qui avait commencé comme une marque de dévotion devint peu à peu une activité à la mode. Les planchettes en bois furent remplacées par des bandes de papier où l'on écrivait son nom à la main. La mode était de coller ces papiers dans les endroits les plus improbables et les plus inaccessibles. On imprima aussi des notes humoristiques ou des jeux de mots et on adopta le style de calligraphie nommé edomoji , inventé à l'époque Edo spécialement pour les publicités.
Les bandes de papier furent à leur tour remplacées par des estampes. Le mouvement prit une telle ampleur que le shogunat de l'époque fit une loi pour déterminer les couleurs et les motifs des estampes en fonction de la classe sociale, tout comme il l'avait fait pour les coiffures et les motifs des kimonos!
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Comment coller un senjafuda dans un temple ?
De nos jours, au Japon, les pèlerins sont encore nombreux. Ils ne se déplacent jamais sans un rouleau de prières, un chapelet, une cloche, un livre destiné à apposer les seaux des temples et sanctuaires qu'ils visitent (Le goshuinchô) ainsi qu’une boite remplie de Senjafuda et un pot de colle pour appliquer ces derniers. Ils emportent également une longue perche en bambou télescopique et rétractable (certaines feraient jusqu'à 8mètres de long) au bout de laquelle se fixent une brosse et un grosse pince pour coller les senjafuda. Cette action est particulièrement ardue et demande patience et savoir faire.
Mais il est de plus en plus difficile de pouvoir coller des senjafuda car il faut obtenir l'autorisation du temple ou du sanctuaire et payer une certaine somme. Les moines ne voient pas d’un bon œil ces pèlerins qui semblent ne visiter leur temple que pour le plaisir d’y laisser leur carte. Et surtout, la colle et l'encre abîment le bois et laissent des traces pratiquement indélébiles une fois que le papier a disparu. Les papiers eux-mêmes mettent des années à disparaître, il en existerait encore de l'époque d'Edo.
Il est évidemment interdit de coller sa bande de papier sur des constructions classées au patrimoine, ou encore de la coller sur une autre déjà en place. La règle est de coller le plus haut possible mais de nos jours, l'espace se fait rare...
Malgré ces restrictions, il existe néanmoins encore quelques artisans fabriquant des estampes comme à l'époque d'Edo. Leur coût est élevé (plus de 20000 yen pour 200 pièces) car leur confection requiert le travail de trois personnes :un calligraphe, un graveur et un imprimeur.
On peut également trouver des senjafuda tout prêts, avec les noms de famille les plus courants et qui sont vendus beaucoup moins chers dans certains temples et sanctuaires où ils sont autorisés, dans certaines librairies, ou même sur Internet.
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Où voir des senjafuda au Japon ?
À Tokyo : le sanctuaire Kanda à Akihabara. Adresse : 2-16-2, Sotokanda, Chiyoda-ku, 101-0021 Tokyo
À Kamakura : le temple Sugimoto-dera. Adresse : 903 Nikaido, 248-0002 Kamakura
À Kyoto : le temple Ninna-ji. Adresse : 33 Omuroouchi, Ukyo Ward, 616-8092 Kyoto