L'hiver de Patricia Loison au Japon
Le froid qui transperce les murs
La journaliste Patricia Loison nous livre ses impressions sur l'hiver rigoureux du Japon.
C’est en déambulant dans les salles ouvertes à tous vents du temple Engyoji perché depuis mille ans en haut du mont Shosha que j’ai pressenti ce que pouvait être l’hiver au Japon.
Les panneaux de bois s’ouvrent à intervalle régulier, en grand, sur l’extérieur, la forêt, le cimetière. Les stylistes des pages décoration de ELLE et Madame Figaro sont demandées d’urgence ! Drapez moi ces baies -sans vitre !- de velours pour les calfeutrer.
Installez au moins un fauteuil où se pelotonner. Entassez les tapis sur le parquet.
Le froid transperce les chaussettes.
Comme dans tout lieu japonais, prière de se déchausser avant d’entrer, même par moins cinq degrés. Les courants d’air vous suivent, vous devancent, tout au long de votre déambulation dans ce palais austère où Tom Cruise trouve refuge dans Le Dernier Samouraï.
"Avant l’ère moderne, les femmes japonaises superposaient jusqu’à huit tenues pour tenter de conserver un peu de chaleur !" nous confie le secrétaire général de l’Institut Français de Kyoto. Eh bien, saisissons ce fil de l’Histoire, quelques siècles plus tard rien n’a changé !
Temple zen ou villa d’expat’ rien n’a changé ! Ma voisine américaine ne quitte pas sa cuisine, qu’elle arpente en doudoune.
Vous cartographiez votre intérieur en zones thermiques.
Salon : chauffé : 20°C.
Entrée : pas de chauffage : 10°C.
Toilettes : chauffage manuel possible, par une trappe format "grille-pain". Pas la peine de le déclencher. Savourez plutôt la lunette nippone chauffante qui prend toute sa valeur en hiver !
Vous découvrez la véritable signification du mantra local : "Vivre avec les saisons".
Ce n’est pas : ouvre ta fenêtre au printemps et hume le parfum des fleurs de cerisier. Mais plutôt, ta maison est en papier, tu auras froid l’hiver, chaud l’été, à la guerre comme à la guerre.
Du coup, nous, les pièces rapportées dans l’archipel, élevés à la chaleur tiède du radiateur et du chauffage central, nous nous interrogeons.
Comment un pays longtemps à la pointe de l’innovation peut-il ne pas isoler ses constructions ? Laisser les vitres épaisses de quelques millimètres refroidir constamment vos pièces. La chaleur soufflée par les climatisations inversées – essayez de vous placer sous votre sèche-cheveux pendant une heure ou deux…- s’évaporer à travers les cloisons de bois ?
Dur à cuire pour les uns, mode de vie ancestral pour les autres, marché du bâtiment très protégé pour d’autres encore…
En attendant, c’est une expérience, et un filon !
On se refile des tuyaux entre voisins frigorifiés. Le radiateur à huile à shopper sur le net. La couette-manteau – les maris s’habituent, ils n’en mènent pas large non plus !- chez Uniqlo ou Ikéa.
Les chauffe-gants ou chaussures, petits sachets chimiques à glisser dans les moufles ou sous sa semelle. J’ai fini par les trouver dans les fameux "100 yens shop", les magasins où tout s’affiche à 1€.
Soigneusement emballés dans leur boîte jaune orangé, aux couleurs de la chaleur promise. Je les ai testés dans les gants pour mes promenades quotidiennes avec le meilleur ami de l’homme. L’impression d’avoir un mini radiateur dans chaque paume. Le bonheur !
Un matin, frigorifiée face à la porte fenêtre de mon bureau, j’ai cédé. J’ai été en sortir un du tiroir du meuble de l’entrée, je l’ai plaqué dans mon dos, scotché à l’Élastoplast. Quand la chaleur a commencé à se diffuser, j’ai enfin pu travailler dans un relatif confort.
Attention si vous récidivez l’expérience : on peut se brûler en s’appuyant sur le dossier de la chaise, en oubliant cette bouillote de poche.
Le matin, à la maison, au bureau, le premier geste de chacun est de déclencher son chauffage à air pulsé.
Mon mari passe derrière pour baisser le thermostat, l’œil rivé sur la facture d’électricité qui fait exploser le budget. Les enfants contre-attaquent, emmitouflés dans leur couverture pour le petit déjeuner.
Chaque degré est une bataille.
"21°C, c’est raisonnable !"
"Mais Papa, on gèle !"
"C’est impossible, qui a laissé son chauffage à 26°C ? Si c’est comme ça, on n’ira pas aux sports d’hiver !"
Les humidificateurs d’ambiance font un tabac. Design en goutte d’eau, huiles essentielles parfumées. Objectif : contrecarrer l’air ultra sec pulsé.
Un mot un seul, fait fléchir les plus rétifs à la vie japonaise hivernale, ceux qui se disent qu’à côté, janvier à Montréal, c’est une blague… :
"Kotatsu"
Ça ne pouvait être inventé qu’ici. Une table basse, un radiateur collé dessous, et juponnant tout autour pour conserver la chaleur, une couverture.
Le plus : vous n’avez plus froid. Le moins : vous risquez d’hiberner tout l’hiver.
Et de passer à côté de quelques plaisirs : le thé fumé japonais à avaler par petite goulée pour se réchauffer après une balade. Les plats d’hiver roboratifs qui font les joies de l’après-ski : pot au feu, nouilles… Et pied de nez au froid mordant, offert sur un plateau par la nature volcanique : les onsen.
Les bains d’eau chaude naturels.
Il est particulièrement savoureux quand la température pique un peu, de se glisser dans une eau à quarante degrés, en essuyant parfois un flocon de neige qui tombe sur le nez quand les bains sont à l’extérieur. Magique !
Dans la vie de tous les jours, l’eau chaude dispense également ses vertus. Chacune ici sait que se faire couler un bain le matin n’est pas seulement délicieux mais permet de faire dégivrer la salle de bain en un temps record ! Pas très écologique… certes, mais comme l’on dit aussi "Gambatte !", "bats-toi" avec les moyens du bord.
À bientôt sous le soleil printanier qu’on attend… impatiemment !