Patricia Loison et les gâteaux japonais
Kurisumasu kêki
Il me semble qu’il pleuvait, et pourtant, sous les parapluies, la file s’égrénait sur des dizaine des mètres, de l’entrée tarabiscotée de la boutique jusqu’au bloc suivant.
À la japonaise, patiemment, poliment, parfaitement équipée pour résister à une fraîche journée de septembre à Kobe.
Ils n’attendaient pas pour s’offrir des billets pour le concert du dernier groupe en vogue, non, ils voulaient manger leur dernier gâteau à "the" pâtisserie de Mikage…!
Mikage, c’est notre quartier.
Entre la gare, les poteaux électriques et les maisons grises, un petit charme s’est glissé. Nous sommes sur les premières hauteurs des collines. Les sangliers viennent parfois nous rendre visite quand la cueillette est maigre dans les forêts au-dessus. La rivière descend de la montagne. Au printemps, tonitruante, elle fait presque plus de bruit que les voitures qui dévalent de chaque côté.
C’est à Mikage que se nichait la plus célèbre pâtisserie de la ville. L’une des plus courues en tous cas. Et en matière de "The Place to Be", les Japonais ne plaisantent pas. D’autant que certains tentaient leur dernière chance. Le salon de thé allait fermer ! La rumeur courrait du konbini - des micro-supermarchés où l’on trouve tout, tout le temps - au salon de coiffure : le fondateur de l’enseigne n’avait pas trouvé de repreneur et son fils refusait de prendre sa suite.
"Oooooooh ! So desu ne !" s’exclamaient les résidents, attristés.
Les aficionados venaient déguster une dernière friandise.En hommage au créateur du lieu, par curiosité et …par gourmandise En passant doucement devant eux avec les enfants, je murmurais :
"Nous n’y aurons jamais mis les pieds… C’est dommage !"
Nous y pensions souvent en passant, mais l’occasion ne s’était pas présentée. Avant les derniers jours, nous avions déjà noté l’attroupement devant l’établissement en milieu d’après-midi, l’heure du dessert nippon.
Au pays de la pâte de haricot rouge, des boulettes de riz frit et des gelées translucides au matcha, la maîtrise du gâteau à l’européenne était devenue un art.
Lors de notre voyage de repérage au Japon, croquer dans une mini crêpe de riz fondante à la pâte sucrée en sortant d’un temple à Kyoto m’avait rassurée sur mon addiction au sucre. Je pourrais la satisfaire à l’autre bout du monde, je trouverais des dérivatifs au chocolat.
J’étais loin de m’imaginer que quelques mois plus tard, dans mon supermarché, je tomberai nez à nez avec des mont-blanc juponnés de crème de marron, des fraisiers rutilants, des choux à la crème fouettée lumineuse et aérienne, et même la bonne vieille forêt noire et ses festons en chocolat.Ils sont comme en France, impeccablement alignés derrière des vitrines immaculées.
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La gourmandise ici va de pair avec la précision.
Détail inimaginable chez nous, souvent s’invite sur le comptoir la description du délice : plan de coupe détaillé à l’appui. Une épaisseur, une flèche, une légende : génoise, coulis de fruit rouge, crème fouettée au cassis, génoise, crème chantilly.
Le sens du service japonais poussé à l’extrême. Moi, je me fiais à la bonne figure du gâteau, sa couleur, sa texture, bref sa belle allure ! Que nenni, il fallait aussi connaître précisément sa confection… de quoi briser les plus grands élans gourmands !Il y a la débauche sucrée des grands magasins : des mètres de comptoir où se succèdent tous les desserts possibles. Du cheesecake américain au financier hexagonal en passant par des spécialistes des tartes aux pommes allemandes.
J’ai croisé des danseuses à la jupe en crème de pistache. Des fleurs de cerisiers dansant sur des pâtes légères. Des baumkuchen, ces roulés allemands sont les Japonais sont friands, enluminés de couleurs vives et présentés comme des bijoux.
"Shashin ii desu ka ?" Je peux prendre une photo ?Certains redoutant le vol de recette refusent… ; )
D’autres acceptent avec plaisir.
Ma collection de photos sucrées a fait un bon depuis que nous sommes au Japon…
Et puis, il y a les coquettes boutiques de quartier, où les serveuses portent des toques de pâtissier, déposent délicatement le met choisi dans sa boîte et vous demandent si vous désirez un petit patch de glace pour le garder au frais.Dans mon quartier, on trouvait de repaires à becs sucrés à 100 mètres distance, avant que la plus ancienne ne ferme.
Les Japonaises sont fines comme des Tanagras, mais adorent venir savourer un gâteau à l’heure du thé.
Pour ne pas me transformer moi-même en choux à la crème, je me contente e regarder ces merveilles dans les vitrines. Ils n’ont pas juste l’air délicieux, ils sont jolis, raffinés, étonnants ! Ronds et blancs, juchés d’un museau et deux yeux de panda chocolatés. Un mini-jeu de cubes pour enfants illustrés chacun d’une figurine festive pour Noël : lutin, sapin, soigneusement dessiné à coup de crème et glaçage coloré.
Je me souviens encore de cette merveille croquée chez des amis sans savoir ce qui m’attendait derrière la pâte du riz du mochi, un dessert traditionnel japonais celui-là.
Quel génie avait soufflé dans ce cocon moelleux une chantilly mousseuse. Un régal, une surprise, l’orient et l’occident en une bouchée !
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Le fin du fin pour déculpabiliser : les Japonais mangent en petite quantité. Vous trouvez des parts de gâteaux prêtes à manger même au supermarché. À moi l’éclair au chocolat à la pause déjeuner. Pas impérissable… mais pas mauvais ! Plus le magasin est trendy, plus le gâteau est bon… Ma dernière folie pour Noël : deux jumeaux : deux petits choux aux marrons soigneusement emballés dans leur boîte plastique et placés dans le rayon libre-service.En cette période de fêtes, tout le monde ici a commandé son "Christmas Cake", un gâteau qui n’a rien de japonais mais qui est devenu un incontournable : une génoise nappée de blanc et couronnée de fraises, dont la saison commence en hiver. Les affiches en font la publicité dans tous les konbini.Le soir venu, les parents le déposent sur la table cérémonieusement. La famille entonne quelques "Christmas Carols", et haro sur le dessert !Bon appétit, et bonnes fêtes !