Jiro Taniguchi 谷口 ジロー
L’enfant de Tottori
Les récits intimistes dont le scénariste, auteur etdessinateur Jiro Taniguchi (1947-2017) s’est fait la spécialité à partir desannées 1990, font figure d’exception dans l’univers du manga. Son œuvre subtileet sensible lui vaut ainsi le surnom de « poète du manga ».
L'ambassadeur deTottori
Dans le documentaire « Dans les pas de Jiro Taniguchi,l’homme qui marche » diffusé au Festival international de la Bandedessinée d’Angoulême en 2015, les réalisateurs Nicolas Finet et Nicolas Albertsuivent Jiro Taniguchi jusqu’à Tottori et Kurayoshi. Arpentant les rues de sonenfance, un appareil photo à la main, le mangaka confie devant la caméra sonattachement à sa région natale ; soulignant la beauté et la douceur devivre des lieux. Taniguchi a en effet fait de sa terre d’origine le cadre deses mangas les plus emblématiques : Le Journal de mon père, Quartier lointainou La Montagne magique ; des ouvrages ponctués de ses souvenirs d'enfance.
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Les débuts à Tokyo
Né à Tottori en 1947, le jeune homme, issu d’un milieumodeste, arrive à Tokyo à l’âge de 22 ans. Ses débuts en tant qu’assistant dumangaka Kyuta Ishikawa puis Kazuo Kamimura, Taniguchi les livrera entre 2005 et2007 dans Un zoo en hiver publié dans le magazine Big ComicOriginal. Il publie son premier manga Kareta heya (Un été desséché)dès l’année suivante en tant qu’indépendant.
Dans les années 1980, encollaboration avec Natsuo Sekikawa, il signe Au temps de Botchan,une fresque historique, sociale et politique du Japon au sortir de la guerrerusso-japonaise mettant en scène le célèbre écrivain Natsume Soseki.
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Travaillant sans cesse, Taniguchi s’essaie à tous les styles : aventure,policier, fresque animalière, adaptation littéraire… Mais dans cette œuvreprolifique, les récits intimistes mettant en lumière la vie quotidienne frappentle public en plein cœur. En 1992, son recueil Terres de rêves reçoit le prestigieux prix du manga Shogakukan, catégorie Prix spécial du jury.Taniguchi excelle dans la narration des relations humaines en particulier ausein du cercle familial et du lien entre l’homme et la nature ; des thèmesuniversels capables d’intéresser tout type de lecteur.
Une influence européenne
Depuis la publication de son premier ouvrage en français, L’homme qui marche en 1995, Taniguchi connait un impressionnantsuccès dans l’hexagone. Les rapprochements avec la bande dessinée européennesur les plans stylistiques et narratifs ne sont pas étrangers à cet engouement.Découvrant très tôt la bande dessinée européenne grâce notamment au magazineMétal hurlant, Taniguchi est un mangaka dont le style se démarque fortement decelui de ses compatriotes.
Dans des entretiens avec Benoit Peeters, publiés en2012 sous le titre Jiro Taniguchi :l'homme qui dessine : entretiens, Taniguchi exprime son ambivalence : « Le paradoxe, c’est que tout en étantmangaka, mon style est assez proche de la bande dessinée à l’européenne et queje mets beaucoup d’éléments dans chaque image. Je me situe sans doute entre laBD et le manga de ce point de vue. Et c’est peut-être ce qui fait que pour certainslecteurs japonais mes mangas sont difficiles à lire ».
Participant aumouvement de « La nouvelle manga » regroupant des auteurs français etjaponais, il publie Icare en 1997 en collaboration avec Moebiuspuis Tokyo est mon jardin en 2001 avec Frédéric Boilet et BenoitPeeters. Après avoir été nommé Chevalierde l’ordre des arts et des lettres en 2011, il situe l’action de l’une de seshistoires à Paris dans Les gardiens du Louvre (2014).
Le temps suspendu
L’œuvre de Jiro Taniguchi est tout à fait originale par larécurrence de ses « personnages promeneurs » flânant dans les rues dela ville et laissant libre cours à leurs pensées. Loin de la frénésie desmangas d’action, les protagonistes de L’homme qui marche, Le promeneur et Lesrêveries du gourmet solitaire déambulent, contemplent, se souviennent ; lapromenade est propice au cheminement de leur réflexion. Le temps semble alorscomme suspendu. Le rythme narratif est semblable à celui des films de Yasujiro Ozu ; une référence au célèbre cinéaste que Taniguchi reconnaissaitlui-même bien volontiers. Rompant avec les codes classiques du manga, seshistoires et son dessin sont d'une poésie saisissante. Émotion garantie !
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