Patricia Loison et le rangement au Japon
Ici l’expression "chaque chose à sa place" prend son sens, et ce, à tout moment de la journée.
D’abord, et oui, c’est peu glamour, la case "poubelles"...
Quatre sacs possibles !
Les ordures ménagères en bleu ciel, les bouteilles recyclables : sacs transparents, calligraphié de bleu marine. Plastiques recyclables, -eh eh, pas les mêmes !- sacs transparents, écriture oranges. Déchets qui ne brûlent pas, encombrants, cartons…
Lire : Le tri sélectif au Japon
Le 4e jeudi du mois les cartons, un grand moment quand vous avez fait une virée chez Ikéa.
(La case "emménagement", souvent incontournable pour les expatriés)
À stocker un mois, et à découper proprement puis à attacher avec une ficelle.
Et si vous voulez jouer au Français méprisant les règles, gare à votre ancestrale voisine japonaise, courbée en deux qui scrute l’intérieur de vos sacs plastiques sous prétexte de promener son teckel, prompte à vous dénoncer pour anarchie. Vos déchets ne seront pas ramassés, barrés qui plus est d’un gros scotch vous rappelant les consignes.
Alors oui, j’avoue que pour éviter cette humiliation de quartier, il m’est arrivé de vérifier le contenu de mes poubelles de bon matin, et de ramasser une vile paille en plastique qui traînait avec les bouteilles recyclables…
Si ça n’est pas "Japan Experience" ça… !
La pays de l'organisation
En cette rentrée vous prend peut-être des envies de ranger ?
De vestibules qui ressemblent à des pages de "Elle Déco" ?
De chambres d’enfants en mode "pinterest"… ( - mais où sont les jouets … ??)
Le Japon me confronte en permanence à mon talent inné pour le bazar.
Tout me renvoie, par contraste, à la physionomie habituelle de ma maison, tout droit sortie d’un rapport de police après un cambriolage.
Sur la route de l’école le matin en s’engageant sur notre Golden Gate Bridge local, j’ai toujours un pincement au cœur à rouler derrière des camions manucurés, à enjamber les entrepôts de porte-containers – Kobe, c’est un peu le Havre ou Marseille, un port de commerce - aux palettes, rouleaux de cordes et cargaisons, parfaitement alignés façon pub pour Playmobil.
J’avoue même avoir admiré avec émotion, sous le regard inquiet de mes filles, le coffre ouvert d’une camionnette : balais fièrement alignés à la verticale, seaux propres empilés par ordre de grandeur, petits bacs avec chacun un contenu bien précis.
Vous cherchez la fée de la cuisine de Merlin l’Enchanteur… La fée, c’est cet employé qui redémarre.
Les petites mains au Japon, c’est partout et tout le temps.
Lire aussi : Ôsôji, le grand ménage à la japonaise
Faire ses courses relève de la géométrie dans l’espace. La caissière saisit mon panier en souriant gentiment devant mon entassement anarchique. Elle agence un à un mes achats dans un autre panier. Le beurre forme un angle avec les œufs qui s’emboîtent avec les tomates, mais les chips sont fragiles et seront délicatement déposées en dernier tandis que les bouteilles se logent dans les coins.
Sur le parking, nouveau moment de solitude. Certes je retrouve ma voiture… C’est la seule dont on voit le pare-chocs.
Les Japonais se garent systématiquement en marche arrière.
Des rangées de nez de voitures… Sauf bien souvent celles des gaijin, des étrangers.
À lire : Conduire au Japon
Si vous préférez prendre le train, une préparation mentale est également nécessaire.
On vous a déjà parlé des passagers à la queue leu leu sur le quai, des sens de montée et de descente des marches…
Mais tout commence bien avant !
Il nous est arrivé avec mon mari de courir vers la gare à Osaka pour attraper notre train. De stopper net au passage piéton – évidemment personne ne traverse quand le petit bonhomme est rouge…- et de reculer discrètement pas à pas, en réalisant que la foule massée pour traverser attendait dans l’ordre de leur arrivée respective… et que nous avions doublé tout le monde.
Vous pensiez vous détendre en passant à table ?
Que nenni le plus simple bento donnerait des complexes à tous les master chefs…
Ces plateaux repas traditionnels sont des œuvres d’art !
Du plus abordable au plus hype : des mini-compositions de couleurs, de textures, de dentelles de légumes, de tempura légère – je partagerai prochainement promis mon expérience extatique au paradis de la food qu’est le Japon !- dans leurs carrés de bois vernis. Un délice pour les yeux autant que les papilles.
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Cette organisation militaire du détail se poursuit jusqu’aux lieux de détente ou de visite : temple, ou onsen, ces bains chauds alimentés par des sources …
On laisse ses chaussures au pied des escaliers – on ne les balance pas négligemment non, les paires s’alignent à égale distance les unes des autres- on en enfile d’autres pour vaquer à ses occupations et on change à nouveau de chaussons pour aller aux petits coins. Et oui il y a des crocs spéciale toilettes…!
Pas étonnant que le livre de la Japonaise Marie Kondo sur l’art de rouler ses chaussettes pour qu’elles se sentent mieux (sic!) ait été un best-seller. "La Magie du Rangement" a même séduit l’Europe et les Etats-Unis .
Mais les Occidentaux se lasseront un jour de faire des origamis avec leurs chemises.
Pour les Japonais, bien plus qu’un pli culturel, c’est la traduction d’une pensée ancestrale qui privilégie l’harmonie, le pragmatisme, l’attention au détail, et le sens du travail parfaitement accompli.
Si vous précisez "purezento" au comptoir du magasin, pour un petit cadeau, malheureux … ! Armez-vous de patience !
Et que je t’emballe la jolie chose dans un coussinet protecteur, et que je la place dans un premier sachet, que je referme avec un scotch coloré, pas le même que celui du paquet cadeau principal, qui sera évidemment agrémenté d’un ruban qui sera bouclé au ciseau.
Si vous sortez la formule magique spéciale gaijin quand vous sentez que l’étape emballage se prépare : "Kekko desu". Soit : "non merci, ce n’est pas la peine, ça ira, ça va aller…. Non tu n’habilles pas ma boîte de gâteaux comme un coffret Hermès qui irait direct à la case détaxe… non mais… !!"
Bref, si vous déclinez : guettez, scrutez, mais vous verrez fugacement, irrépressiblement se peindre sur le visage toujours si poli de nos interlocuteurs japonais un léger effroi face au refus de la perfection.