Hatsuyume : le premier rêve de l’année 初夢
Commencer l’année du bon pied
Les voyageurs et amateurs deculture japonaise rêvent parfois du mont Fuji et de son ascension. Mais plusrares sont ceux qui rêvent à la fois de la montagne sacrée, d’un faucon etd’aubergines ! Et pourtant, si tel était le cas, vous seriez bien inspiré(e) ! L’apparition de ces trois symboles dans votre premier rêve de l’année serait lagarantie d’une année heureuse et prospère !
"Premier rêve de l’an, je legarde pour moi et j’en souris tout seul" Itô Shô (1859-1943)
Le rêve de l'année
Il existe au Japon une croyancepopulaire depuis l’époque d’Edo (1603-1868) selon laquelle voir dans son premierrêve de l’année le mont Fuji, un faucon et une aubergine augure la bonnefortune. Ce premier rêve, appelé hatsuyume, est largement répandu et diffusé au XVIIIe siècle comme en témoignent les très nombreuses estampesukiyo-e illustrant le sujet. Dans une estampe d’Isoda Koryûsai(1735-1790), un couple s’est assoupi. De leurs poitrines endormies jaillit un songe comportant les trois signes de chance. Parfois, le bienheureuxtrio est dissimulé dans une scène de genre.
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Un triptyque d’Utamaro (1753-1806)montre ainsi : un jeune noble tenant un faucon, deux femmes choisissantdes aubergines dans les paniers d'un vendeur ambulant ; le tout devant le majestueux mont Fuji. Le Sankashu, recueil de 1 560poèmes du moine poète Saigyo (1118-1190) mentionne déjà cette coutume. À l’époque, le Japon utilisant le calendrier luni-solaire chinois, la nouvelleannée n’intervenait pas le 1er janvier mais le premier jour duprintemps. Le hatsuyume se produisait alors au cours de la 1ère nuitdu printemps. Aujourd’hui, on considère que celui-ci a lieu dans la nuit du 1erau 2 janvier, dans la mesure où l’on dort peu du 31 décembre au 1erjanvier.
Ichi-Fuji,Ni-Taka, San-Nasubi
Une petite formule bien connuedans l‘archipel résume le principe du hatsuyume : Ichi-Fuji, Ni-Taka,San-Nasubi (一富士、二鷹、三茄子 : "1. Fuji, 2. Faucon, 3. Aubergine"). Néanmoins, l’origine de cettetradition reste inconnue et soumise à de nombreuses spéculations. Pourcertains, le dicton Ichi-Fuji, Ni-Taka, San-Nasubi énumère les produits célèbres de l’ancienne province de Suruga (partieest de l'actuelle préfecture de Shizuoka). Selon une version attribuée àTokugawa Ieyasu, il s’agit des trois choses les plus élevées de la province : le mont Fuji, le mont Ashitaka (se termine par "taka" qui signifiefaucon) et le prix exorbitant des premières aubergines de la saison. D’autresmettent en avant la portée symbolique des trois éléments : le caractère sacrédu mont Fuji, la force et l’intelligence du faucon, l’homonymie du motaubergine et du verbe "accomplir" (se prononcent tous deux "nasu"). Lacoutume pourrait également trouver son origine dans la ville de Komagome. Celle-ciabrite le temple Komagome Fuji-jinja depuis 1573, d’où il était alors possibled’observer le mont Fuji. Des fouilles réalisées dans les années 1970 y ontrévélés les vestiges d’une maison de fauconniers établie par le shôgunYoshimune Tokugawa (1684-1751). Enfin, Komagome était à l’époque d'Edo (1603-1868) uneterre de production de l’aubergine. La petite ritournelle comporte une suitebien moins célèbre : Yon-Sen, Go-Tabako, Roku-Zatō (四扇、五煙草、六座頭 : "4. Éventail, 5. Tabac, 6. Acuponcteur aveugle").
Mettretoutes les chances de son côté
Pour augmenter leurs chances defaire ce rêve de bonne fortune, les japonais ont pour coutume de placer sousleur oreiller une image du takarabune,le bateau aux trésors sur lequel sont embarquées les sept divinités du bonheur.Le takarabune est traditionnellement représenté chargé d’or, d’argent, de riz,de branches de pin, de bambous et de pruniers ; accompagné d’une grue et d’unetortue, deux symboles de longévité. À l’époque d’Edo, des marchandsambulants vendaient ces images porte-bonheur censées favoriser l’apparition du hatsuyume.
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Pour se protéger des cauchemars en cette première nuit de l’année,il faut faire appel au baku, le mangeur de mauvais rêves. Cet animalfantastique issu de la mythologie chinoise ressemble un peu à un tapir. Untexte du début du XVIIe siècle le décrit comme un animal compositeau tronc et défenses d’éléphant, aux yeux de rhinocéros, à la queue de vache etaux pattes de tigre ! Là encore, dormir sur le baku améliorera vos chancesde faire un bon rêve. Il est même possible de se procurer un oreiller en formede baku ! Si le takarabune est quelque peu tombé en désuétude, la croyancedu hatsuyume, elle, persiste encore aujourd’hui. Mais pour ne pas perdre lebénéfice de votre hatsuyume, vous ne devez en parler à personne ! Lerévéler vous fait perdre son pouvoir. Alors, si vous avez la chance de rêver deces trois précieux symboles au début de la nouvelle année, n’en dites pas unmot !
"Au moment de raconter monpremier rêve de l’an, il s’est évanoui", Hoshino Tatsuko (1903-1984)