Hadaka no tsukiai 裸の付き合い
Les "compagnons de la nudité"
On connait la passion des Japonais pour le bain et il semblerait que leur habitude d’aller se relaxer dans les sources chaudes ait récemment "contaminé" les touristes étrangers. Mais si ces derniers se sentent souvent gênés de se retrouver nus devant des inconnus ou leurs compagnons de voyage, les Japonais, eux, ont de tout temps profité de ces instants de détente pour nouer de nouvelles relations ou en approfondir d’anciennes. C’est ce que l’on nomme en japonais hadaka no tsukiai.
La nudité ne pose pas de problèmes aux Japonais et elle n’a jamais été réprouvée par les religions shintoïste ou bouddhiste du Japon. Depuis la nuit des temps, les Nippons ont profité en commun des multiples sources chaudes dont est doté leur pays. Puis, à l’époque d’Edo (1603-1868) les bains publics firent le bonheur des citadins, ils étaient mixtes. Depuis que les maisons et appartements sont équipés de salle de bain, le bain se prend en famille. C’est un grand moment de détente et de communication. Les jeunes enfants se baignent en général avec leur père et une fois plus âgées, les filles rejoignent leur mère dans le bain familial. On y discute, on y rit, on y partage des moments de bonheur familial.
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Le sentô : relations de bon voisinage
Les sentô, bains publics, ont donc vu leur clientèle se réduire drastiquement mais certaines personnes âgées les fréquentent encore assidûment. C’est l’occasion pour elles de se retrouver entre voisin(e)s de longue date, de resserrer les liens, de prendre des nouvelles ou de partager les derniers cancans, de parler de soi, aussi. De ses petits ou grands maux, de ses problèmes ou de ses joies. L'occasion rare de se laisser aller aux confidences... C’est ce que signifie en substance l’expression "hadaka no tsukiai". Une "amitié nue", libérée de toutes les contraintes imposées par la société nippone, loin de la retenue qui caractérise le peuple japonais.
Les débuts peuvent être cependant difficiles pour qui entre pour la première fois dans un bain public. Les habitués ont leurs places favorites et leurs interlocuteurs attitrés. Pénétrer dans cet espace restreint, finalement plus "privé" que public, où tout le monde se connait, c’est comme arriver dans une petite fête où l’on a pas été convié. On peut parfois se sentir comme un(e) intrus(e). La coutume veut alors que le nouveau ou la nouvelle, fasse tout son possible pour ne pas gêner et prenne les places les moins confortables (par exemple, quand on se lave assis sur un petit tabouret, celle près de la porte d’entrée, exposée aux courants d’air). Pour lier conversation, le meilleur moyen est encore de parler du bain, pour détendre l'ambiance. Petit à petit, si l’on retourne régulièrement au sentô, on sera alors accepté et on pourra se faire des ami(e)s.
Le onsen: détente et sincérité
Les bains des onsen (sources chaudes) sont différents. On y va lors d’un week-end ou de vacances, pour se relaxer. On s’y rend en famille, entre amis ou même entre collègues. Pour un(e) Occidental(e), cela peut paraitre gênant de se retrouver nu(e) devant ses collègues de bureau et même parfois son/sa supérieur(e). Pour les Japonais(e)s, c’est au contraire l’occasion de parler de tout et de rien mais aussi d’approfondir les relations et souvent de montrer plus de sincérité. Là encore, c'est un moment privilégié pour se faire des confidences... L’expression « se mettre à nu » trouve toute sa valeur dans les bains japonais ! Dépouillé de ses vêtements, qui, au Japon, dévoilent souvent le statut professionnel, l’uniforme étant encore souvent porté au bureau ; on peut se laisser aller dans la chaleur et les vapeurs du onsen. Il n’y a plus de hiérarchie, plus de différences, plus de barrières. Chacun(e) se retrouve dans son plus simple appareil et la sincérité est de mise. Il est plus facile aussi de parler aux inconnu(e)s qui partagent le même bain et le même but : se relaxer.
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La valeur sociale des bains communs
Les sociologues japonais pensent que la coutume du bain pris en commun favorise la "mixité sociale". Auteur d’un livre sur le sentô, Shinobu Machida, lui, ne tarit pas d’éloges sur la "valeur sociale des bains communs". Selon lui, il subsiste quelque chose dans les sentô qui a été perdu partout ailleurs dans la société japonaise moderne. Et de déclarer : « Quand vous trempez dans un bain, cela fait fondre la dureté de votre coeur et adoucit vos émotions, cela facilite le sourire chez chaque individu. C’est le début d’un échange, d’un contact. Même si les personnes ne se reverront peut-être jamais, cela peut être un moment de communication de coeur à coeur. »