Reportage : l'ascension du mont Fuji
Un défi au volcan sacré
Japan Experience a réalisé l’ascension du mont Fuji dès l’ouverture des pentes du volcan, début juillet. Au bout de cinq heures d’efforts, une récompense : le lever du soleil depuis le sommet, un moment magique.
Lundi 2 juillet 2018, 8h37. Nous arrivons en gare de Kawaguchiko, bourgade blottie entre le lac du même nom et le mont Fuji. Derrière les voies ferrées s’offre à nous la première vision du volcan, dont les lignes parfaites s’élancent vers un ciel azur.
Nous faisons la queue quelques minutes au guichet de la gare, parmi les autres voyageurs occidentaux et asiatiques, pour acheter notre ticket de bus, destination la cinquième station, point de départ de l’ascension.
En route pour la 5è station
9h30. Le bus Fujikyu arrive sur le quai de la gare routière à l’heure prévue. Nous échangeons quelques mots avec des voyageurs venus du Colorado. “C’est notre première ascension, confie le père de famille. Je ne pense pas qu’on aille jusqu’au sommet, mais on va essayer d’aller le plus haut possible”, promet-il.
Le bus est plein. Nous nous asseyons sur les strapontins, nos sacs posés aux pieds. Le bus ne tarde pas à démarrer. Sorti de la ville, l’engin file à travers un ruban de bitume qui fend la forêt en deux au pied du volcan. La longue ligne droite se recroqueville bientôt en lacets pour gravir les premières pentes. Bercés par la route et noyés dans un paysage verdoyant, nous somnolons quelques instants. L’annonce du chauffeur au micro nous réveille. Il est 10h25, nous sommes arrivés à la gare routière “Fuji Subaru 5è station”. Le reste de l’ascension se fera par nos propres moyens.
L’ascension commence
À notre descente du bus, la température s’est légèrement rafraîchie : le mercure affiche 18 degrés. Le ciel s’est un peu voilé. Du haut de nos 2 305 mètres d’altitude, nous avons littéralement la tête dans les nuages. Il reste un peu moins de 1 500 mètres jusqu’au sommet. C’est près de quatre fois l’Empire State Building.
Nous avons alors une pensée pour les pionniers du mont Fuji qui, il y a plus d’un millénaire, accomplirent l’ascension depuis le pied du volcan. Si cette performance est toujours réalisable, de nos jours le gros des randonneurs choisit la voie rapide, celle qui part de la 5è station et permet de passer la nuit près du sommet avant d’admirer le lever du soleil le lendemain. C’est le choix que nous avons fait. Nous avons quelques heures avant de débuter l’ascension : un temps utile pour s’acclimater à l’altitude. Et pour avaler un riz au curry dans l’un des fast-foods de la station.
Voir : Le curry japonais
13h30. C’est parti. Nous empruntons l’itinéraire Yoshida, sur le flanc nord, le plus arpenté des quatre parcours possibles, et aussi le seul ouvert dès le 1er juillet. Les trois autres sont encore trop dangereux à cause des restes de neige. Le chemin de terre est plat pendant quelques minutes. Un début en douceur qui invite à la conversation et à la contemplation. On observe la végétation, encore dense, en tournant de temps en temps le regard vers les hauteurs du volcan. Étonnamment, le chemin de terre redescend bientôt pendant deux ou trois minutes, avant un premier embranchement. Le petit panneau en bois indique la bonne voie, celle qui monte vers le sommet. Il va être 14 heures, on entre dans le vif du sujet.
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La pente se raidit
Nous foulons désormais des pierres qui furent jadis la lave échappée du cratère. L’échelle de temps géologique, qui se compte en millions d’années, nous rappelle à notre humble condition. Nous traversons un abri de béton, qui, sur quelques dizaines de mètres, sert de refuge en cas d’orage. Inutile aujourd’hui : le temps restera clément tout le long de l’ascension. Une chance en pleine saison des pluies au Japon.
Nous approchons de la sixième station, installée à 2 390 mètres d’altitude. Une première étape avant un tronçon bien plus long jusqu’à la septième station, perchée 300 mètres plus haut. Le plus dur reste à venir.
La tête tourne un peu pour l’un d’entre nous. Sans doute le manque d’oxygène. Nous faisons alors une pause de quelques minutes. En repartant, nous croisons le père de famille du Colorado, avec sa femme et son fils, partis un peu plus tôt. Comme prévu, ils n’ont pas tenté le diable. “Profitez bien !” nous encouragent-ils en redescendant.
Le reste de l’ascension est loin d’être une partie de plaisir. Tandis que la végétation est désormais éparse, les pentes du volcan se font abruptes. D’abord docile, le mont Fuji affiche peu à peu ses arguments. La montagne sacrée ne se laisse pas dominer comme cela. Il nous faut par moments utiliser les mains pour agripper certains rochers afin de les enjamber et de progresser. Nous réalisons alors la nécessité de bonnes chaussures de randonnée : leur adhérence permet de passer d’un rocher à l’autre sans crainte de glisser.
À mesure que l’on monte, le sentier se rétrécit. Le rythme plus lent de celles et ceux qui nous précèdent nous oblige tantôt à patienter, tantôt à trouver une ouverture par le côté pour doubler, quitte à emprunter une voie moins aisée. Encore une chance que l’année scolaire japonaise ne soit pas encore terminée : il nous aurait fallu nous mêler aussi aux cohortes de lycéens qui arpentent le volcan pendant les vacances d’été.
Les premiers refuges
15h. En levant la tête, nous apercevons de petits bâtiments alignés ça et là sur le flanc de la montagne. Signe que nous approchons de la septième station, qui marque l’emplacement des premiers refuges. Nous frôlons les 2 700 mètres d’altitude.
Plus haut, des taches blanches parsèment les flancs ocre du volcan. C’est que, tandis que la canicule sévit dans tout le Japon, ici les dernières neiges de juin n’ont pas encore fondu.
Nous marquons une nouvelle pause, grignotons un onigiri et une barre de céréales, assis face au vide. Nous reprenons nos forces, en veillant à respirer profondément pour pallier la raréfaction de l’oxygène.
De jeunes randonneurs nous dépassent. “D’où venez-vous ?”, leur demandons-nous. “Kazakhstan”, répondent-ils, avant de poursuivre leur route.
Le mont Fuji attire les voyageurs du monde entier en quête de défi.
Pas le temps de s’attarder : l’objectif est d’arriver à la huitième station avant la tombée de la nuit. Nous nous remettons en marche.
L’arrivée à la 8e station
Il est 16h30 lorsque nous parvenons au “Fujisan Hotel”, où nous avons réservé une nuit. L’hébergement n’a d’hôtel que le nom : il s’agit d’un long dortoir installé au-dessus d’une salle à manger de quelques tables. Notre hôte nous accueille, nous explique les modalités et nous impose l’heure du dîner : 17h15. Ce sera un riz au curry, notre deuxième de la journée. À 3 380 mètres d’altitude, on ne va pas faire la fine bouche. Nous posons nos affaires dans le dortoir et sortons pour souffler et admirer la vue. Entre deux nuages, nous redécouvrons, vue du ciel, la ville de Kawaguchiko, que nous avions quittée le matin, et son lac. Un peu plus à droite, vers l’est, une autre étendue d’eau : le lac de Yamanakako. Au milieu, les plaines et la forêt déploient une verdure dans tous ses dégradés.
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L’heure du curry a sonné. Nous nous attablons et ingurgitons le plat en quelques minutes, non sans nous offrir une bière salutaire. Le reste de la soirée est libre. Nous mettons notre réveil à 2h15 : l’heure à laquelle nous devrons reprendre notre ascension, de nuit, pour atteindre le sommet avant le lever du soleil, prévu vers 4h30.
Et la lumière vint
Nous dormons d’un sommeil léger. Manque de place, excitation, bruit des voyageurs alentours : l’agitation ambiante nous réveille quelques minutes avant l’heure. On suit le mouvement. Il est temps de se remettre en marche vers le sommet.
L’un d’entre nous ne se sent pas bien. “J’ai trop mal à la tête. Allez-y sans moi”. Victime du fameux kôzanbyô, le mal aigu des montagnes lié au manque d’oxygène, il restera cloué au lit jusqu’au matin. L’ascension s’arrête là pour lui.
Nous attachons notre lampe frontale et rejoignons le flot de randonneurs qui ont tous quitté leurs refuges pour répondre à l’appel du sommet.
La course contre le soleil a commencé.
Au-dessus de nos têtes, la nuit offre un ciel pur de toute pollution lumineuse. Aux côtés de la Grande Ourse, l’étoile polaire, suspendue au-dessus de Kawaguchiko, nous indique le nord. Le vent est intense, le froid mordant. Nous enfilons gants, bonnets et quelques couches de vêtements supplémentaires. C’est bien ce que l’on nous avait dit : la température chute parfois en-deçà de zéro au sommet, même en plein été.
Il est 4h lorsque nous atteignons les hauteurs du goraikô, littéralement : où “la lumière vient”, le lieu désigné pour admirer le point du jour. Nous sommes bien arrivés avant le soleil. Pour patienter, nous mangeons le bentô servi au refuge : du riz blanc accompagné d’un morceau de viande aux allures de pâtée pour chien. Encore une fois, nous ferons avec.
Les premières lueurs percent la nuit et bientôt empourprent le ciel, dévoilant un paysage de matin du monde. Nous comprenons alors la fascination des Japonais pour le mont Fuji qui, avant d’être un volcan, est d’abord une montagne sacrée, le domaine des kami, les divinités de la Nature. L’astre solaire émerge enfin de l’horizon, comme une promesse tenue, illuminant le visage de tous les randonneurs venus partager cet instant d’éternité. Nous réalisons alors une chose : nous sommes sur le toit du Japon, le Pays du Soleil-Levant.
Le tour du cratère
La lumière venue, nous entreprenons alors de réaliser ce que les Japonais appellent le ohachi meguri, traduction : le tour du cratère. Surplombant d’un côté les 3 776 mètres de vide, de l’autre la cuve encore enneigée du sommet, nous admirons le panorama qui s’offre à nous. Faire le tour du cratère du mont Fuji, c’est un peu faire le tour du Japon : nous dominons non seulement les bourgs et forêts alentour, mais aussi la baie de Suruga et la péninsule d’Izu au sud. À l’est, les immeubles de Yokohama, minuscules d’ici, déchirent l’horizon et laissent deviner, plus loin, Tokyo et sa mégapole. Le Japon nous semble soudain petit.
La descente
Il est 6h passées lorsque nous commençons à redescendre. Après une étape au refuge pour siroter un café, nous faisons le trajet en sens inverse. Après quelques minutes, nous arrivons à l’embranchement où une jeune officielle japonaise, postée là, un brassard autour du bras, nous indique en anglais la direction du chemin dédié à la descente. Nous empruntons alors un sentier en pente, moins abrupt qu’à l’aller, mais éprouvant de par le poids exercé sur les genoux et la fatigue accumulée.
Au bout de deux heures de marche, la végétation redevient abondante, et avec elle les papillons. Nous dépassons la sixième station et retrouvons alors le chemin plat que nous avions emprunté la veille. Nous finissons par arriver à la cinquième station, point final de notre aventure. Fatigués mais heureux du défi accompli, nous prenons le bus qui nous ramènera à la civilisation.
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