Akira Kurosawa 黒澤 明
nul n'est cinéaste en son pays
Akira Kurosawa est un maître du cinéma japonais qui est fêté partout, sauf au Japon. Retour sur ses oeuvres et sa vie avec un passionné, Peter Tasker, dans un entretien qu'il a accordé à Régis Arnaud.
Le meilleur
"Quels sont pour vous les 100 plus grands films de l'histoire du cinéma tourné dans une langue non anglophone?" : c'est la question posée par la BBC à 209 critiques de 43 pays dans un sondage dont les résultats ont été publiés en octobre dernier. Parmi les titres retenus, les films français (27 films), sinophones (12), italiens (11) et japonais (11) se détachaient. Mais un nom brillait entre tous : Akira Kurosawa, auteur de 4 des 100 titres élus, dont 2 parmi les 10 premiers et du numéro un mondial : Les 7 samouraïs.
Et la BBC de préciser : "Les 7 samouraïs sont aimés des critiques du monde entier - aimés partout sauf au Japon. Aucun des six critiques japonais n'a retenu de film de Kurosawa dans ses choix". 16 des 21 critiques chinois du sondage ont retenu un film d'Akira Kurosawa parmi leurs 100 titres préférés.
C'est une vieille histoire. L'importance d'Akira Kurosawa fut révélée aux Japonais par son Lion d'Or, obtenu au festival du film de Venise en 1951. Il est l'influence principale du plus grand succès cinématographique de tous les temps : La guerre des Étoiles (notamment le film Le Château de l'Araignée). Steven Spielberg et Georges Lucas lui remirent un Oscar d'honneur en 1990 devant le tout-Hollywood en transe. Sondage après sondage, Les 7 Samouraïs sont l'indétrônable classique des spectateurs du monde entier, le pendant oriental d'Autant en emporte le vent.
Mais au Japon, Akira Kurosawa demeure cette icône discrète, un peu encombrante, dont tout le monde connait les titres mais que personne ne regarde plus. Shinobu Hashimoto, l'un des plus grands scénaristes qui ait jamais vécu, auteur de certains des scénarios de ses plus grands succès (Les 7 samouraïs, Rashomon, Le château de l'Araignée...) s'est éteint en juillet dernier à 100 ans. Dans l'indifférence totale au Japon.
Un livre libre
Il revient donc à un amateur étranger de rendre une fois de plus justice au plus grand cinéaste japonais. Dans On Kurosawa: a Tribute to the master director (ed. Shashasha), Peter Tasker, un expert financier, romancier à ses heures et établi au Japon de longue date, reprend les grands films du maître qui, de son propre aveu, "a changé sa vie" et l'a incité à venir vivre au Japon.
Son livre est l'inverse d'une exégèse critique. Doté d'une magnifique iconographie, il varie les perspectives, les angle et les points de vue, consacrant à certains films un court poème, imaginant pour d'autres la vie d'un personnage après le film, racontant pour d'autres encore les circonstances du tournage...
Peter Tasker revient aussi sur la vie personnelle d'Akira Kurosawa et notamment sur ses épisodes dramatiques. En particulier sur le suicide de son frère, récitant de films muets (benshi), qui ne survivra, littéralement, pas au parlant. Au milieu des années 70, en pleine panne créative après les échecs de Barberousse et de Dodesukaden, Akira Kurosawa tentera à son tour de se suicider en se coupant les veines des mains et du cou.
Peter Tasker brosse le portrait d'un perfectionniste, parfois à la limite de la folie, très dur avec ses acteurs, mais qui conserva une cohorte de techniciens fidèles durant toute sa carrière. On sait qu'il a reconstitué des châteaux entiers pour certain de ses drames épiques (Ran par exemple).
"Pour le tournage d'un de ses derniers films, il a non seulement fait construire une maison, mais planté des fleurs et des plantes au printemps pour qu'elles soient en floraison en août au moment du tournage. Il disposait dans les tiroirs fermés des meubles qu'il filmait des objets, invisibles à la caméra, mais qui rendaient selon lui plus d'authenticité" s'amuse Peter Tasker, visité dans son bureau d'Aoyama (Tokyo).
Le cinéaste universel
Solidaire de ses confrères Masaaki Kobayashi, Kon Ichikawa et Keisuke Kinoshita (la critique a surnommé leur petit groupe Les quatre chevaliers), Akira Kurosawa n'a eu que peu de rapports avec la Nouvelle Vague japonaise, le roman-porno des années 70 et les sous-genres qui naquirent du cinéma classique au Japon. Il différait de cette génération par son immense culture littéraire dans laquelle se côtoyaient Balzac, Shakespeare, Dostoïevski et le classique de la littérature japonaise Le dit du Heike.En revanche, il a été sensible au cinéma de ses cadets Kenji Miyazaki et de Takeshi Kitano (il place Hanabi parmi ses cent films préférés).
Où le situer politiquement ? Son œuvre commence par raconter des destins d'êtres ordinaires mis sous pression et forcés d'agir, et s'achève par des fresques historiques à l'ambition inouïe. "Ce qui est certain c'est que chez Kurosawa, ça ne finit jamais bien. Même quand un héros fait le bien, il y a toujours un politicien pour tirer les marrons du feu", estime Peter Tasker.
Comment expliquer l'attrait universel de l'œuvre d'Akira Kurosawa ? Comment expliquer, a contrario, que le Japon l'a presque oublié ? C'est que le Japon a changé plus vite que le reste du monde, explique Peter Tasker.
"Il y a quelque chose d'élémentaire dans la cinéma de Kurosawa. Ses films de samourai sont situés en temps de guerre. Or aujourd'hui le Japon vit un temps de paix. Ses habitants ne jouent pas leur vie ou leur carrière à chaque instant. Ils sont plus sensibles au cinéma d'Ozu ou de Mizoguchi. Mais en Chine, en Afrique, en Turquie, tout le monde est en danger de vie ou de mort, tout le monde risque sa vie, sa réputation, sa carrière ; Ces gens comprennent les enjeux des personnages de Kurosawa".
On Kurosawa: A Tribute to the Master Director, par Peter Tasker. Ed. Shashasha. Peut être acheté ici.