Restons Zazen, par Jake Adelstein
La méditation en pleine conscience selon Jake Adelstein, ou comment le zazen peut nous aider à vivre notre quotidien plus sereinement.
Qui a dit que le zen n'était destiné qu'aux moines bouddhistes ? Jake Adelstein, l'auteur de Tokyo Vice qui réside à Tokyo depuis plus de trente ans, nous partage sa pratique de méditation en pleine conscience, le zazen. Suivez le guide.
J’ai passé une bonne partie de mon temps confiné à faire de la méditation zen. Je suis prêtre bouddhiste Soto, dont la tradition remonte au XIIème siècle, quand Dogen Zenji, son fondateur, rapporta les enseignements de Chine. Pour info, je ne suis pas un très bon prêtre. Quand vous entendez le mot "zen", vous pensez sûrement à Steve Jobs et au design minimaliste, à des phrases du style "quel est le son d’une seule main qui applaudit ?", ou à des moines au crâne rasé, assis en position du lotus et chantant des incantations pour atteindre l’éveil.
Zen (禅) signifie tout simplement "méditation", et le bouddhisme zen, c’est le bouddhisme avec une emphase sur la méditation pour atteindre la paix intérieure et se libérer du désir. Zen est aussi synonyme de pleine conscience. Pleine conscience et méditation font partie des douze actes du Bouddha historique, Shakyamuni.
Idéalement, le zen ne devrait pas être détaché des traditions éthiques qui lui ont donné naissance. Ce sont de formidables outils pour devenir un bouddha, qui veut tout simplement dire "celui qui est éveillé". La plupart d’entre nous ne sommes pas éveillés. Nous ne vivons pas vraiment le monde tel qu’il est mais plutôt tel que nous imaginons qu’il est.
Dogen Zenji, le fondateur du bouddhisme Soto, l’a résumé ainsi :
"Il y a une voie très simple pour devenir bouddha. Quand vous renoncez aux actes malsains, que vous n’êtes plus attaché à la naissance ou à la mort, que vous montrez de la compassion envers les êtres sensibles, que vous respectez vos aînés et aimez les plus jeunes, que vous n’excluez ni ne désirez rien, sans calculs ni craintes, alors on vous appellera bouddha. Ne poursuivez rien d’autre."
J’aimerais préciser ici que durant le confinement lié au coronavirus, tandis que nous avions tous une extrême conscience de notre mortalité, je n’ai rien cherché d’autre que l’illumination. Mais bien sûr, je ne suis pas prêt à devenir un bouddha. Donc, quand je ne méditais pas, je passais beaucoup de temps avec une infirmière allemande qui était en vacances-travail à Tokyo. Dans un sens, c’était aussi apaisant que la méditation zen. Je suis sûr que Dogen approuverait. Ou peut-être pas. Mais mon maître zen était ok – et c’est probablement pour ça que c’est mon maître. On s’entend bien. Le monde en pause m’a permis de renouveler ma pratique.
Le zazen, ou méditation assise, est le cœur de l’enseignement. Les monastères ont leurs règles sur la manière de pratiquer le zazen, mais vous n’en avez pas besoin. Les rituels ont leur importance, bien sûr, mais ce qui compte au final, c’est la pratique. Je médite la plupart du temps dans la grande pièce tatami qui me sert également de bureau et de chambre. J’ai l’impression d’être arrivé quelque part dans le monde quand je compare tout cet espace à ma première chambre au Japon. Bien sûr, en tant que moine mendiant, je n’aspire pas à arriver quelque part. Mais l’espace est sympa.
Pour votre bien, je vais prendre un moment pour vous expliquer comment pratiquer le zazen.
Asseyez-vous face au mur avec un petit coussin sous vos fesses. Mettez votre pied droit sur votre cuisse gauche, et votre pied gauche sur votre cuisse droite – si vous y arrivez. Un demi-lotus fera très bien l’affaire. Ou prenez une chaise. Alignez votre nez avec votre ventre, tenez-vous droit mais détendu. Gardez vos yeux mi-clos et regardez vers le bas. Placez le dos de votre main gauche dans la paume de votre main droite. Vos pouces devraient se toucher légèrement. Un peu comme si vous teniez un œuf dans vos mains. Expirez profondément par la bouche, et inspirez par le nez. Répétez deux ou trois fois jusqu’à ce que vous sentiez une sorte de calme. Et respirez normalement.
Votre bouche est fermée, vos yeux ouverts, vous vous tenez droit et vous êtes conscient mais vous n’aspirez pas à obtenir quoi que ce soit ou à devenir bouddha. Dogen croyait au fait que lorsque l’on médite, on est déjà bouddha, en quelque sorte. Concentrez-vous sur votre respiration. Quand des bruits vous parviennent, enregistrez-les. Si des pensées vous viennent, laissez-les passer puis retournez à votre respiration.
Si vous commencez à rêvasser, ce qui risque d’arriver, ne soyez pas trop dur avec vous-même. Revenez à votre respiration. Soyez dans l’instant. On dit parfois aux débutants de compter leurs respirations. C’est pas mal pour commencer. Inspirez, un. Expirez, deux. Répétez. Respirez calmement par le nez. (Si vous avez un rhume, c’est ok de respirer par la bouche). N’essayez pas de contrôler votre respiration. Laissez-la venir si naturellement que vous oubliez que vous respirez.
Vous êtes concentré sur votre respiration, et quoi qu’il arrive autour de vous, cela devient partie intégrante de votre méditation. Une voiture qui passe, le craquement des volets quand souffle le vent. Remarquez-les, laissez-les repartir, et revenez à votre respiration. Soyez chaque instant. 10 à 20 minutes sont plus que suffisantes.
Lorsque vous avez fini votre zazen, joignez vos mains à la poitrine et inclinez-vous. Prenez un moment pour exprimer votre gratitude : au monde, à votre famille, aux êtres qui vous sont chers et à l’enchaînement de circonstances incroyables qui vous ont permis de naître en tant qu’humain. Prenez une longue respiration, dépliez vos jambes et bougez très doucement. Vos jambes sont sans doute endormies, et vous relever peut être périlleux. Retomber sur vos fesses peut compromettre ce calme nouvellement acquis : allez-y doucement.
Le zazen produit un certain nombre de choses plutôt bénéfiques. Il change physiquement la structure de votre cerveau en vous donnant plus de self-control. Il vous aide à mieux dormir. Lorsque vous l’appliquez à votre vie quotidienne, il vous aide à rester calme dans les situations de stress. L’esprit d’un moine zen pendant et après la méditation travaille en harmonie. Une étude menée par l’Université du Wisconsin en 2005 montre que pendant la méditation, les ondes de différentes zones du cerveau fonctionnent en grande synchronie. Et cette synchronie peut durer très longtemps.
Le zazen n’offre pas juste de la relaxation, il vous aide à rester calme et alerte par rapport au monde qui vous entoure.
Un point important ici. Les bénéfices de la méditation zen, qu’il est bon de connaître, ne devraient pas être poursuivis comme un but en soi. Je sais que ça a l’air contradictoire mais l’un des objectifs du zazen est de vous libérer du désir. Alors si tout ce que vous désirez c’est obtenir les bénéfices de la méditation, vous ne parviendrez ni à méditer ni à les obtenir. Donc relax.
On a un jour demandé à Sawaki Kôdô, un grand maître du bouddhisme zen un peu iconoclaste, mort en 1965, "À quoi sert le zazen?" Voici sa réponse: "Le zazen ne sert à rien. Si cela vous suffit, et si vous faites ce qui ne sert à rien avec tout votre cœur, alors votre pratique sera vraiment bonne à rien." Kôdô avait un bon sens de l’humour, bien qu’il soit clairement un maître zen bon à rien.
Durant ces moments de peur et de tragédie apportés par le coronavirus, je me suis souvenu des mots d’un autre maître zen. Unmon Zenji a un jour résumé la vie après l’illumination en une simple phrase: Nichi Nichi Kore Kojitsu, "chaque jour est un bon jour". Je comprends maintenant la sagesse de cette phrase chaque fois que je médite. Le fait que je sois assis, vivant, et non mourant d’un terrible virus, est une chose pour laquelle je suis reconnaissant.
Chaque jour est un bon jour bon à rien – voilà quelque chose que je peux faire de tout mon cœur. Chaque jour est un bon jour pour le zazen. Lorsque vous aurez fini de lire ceci, essayez vous-même. Mais n’essayez pas trop sérieusement ou trop fort.
Bonne chance. Vous serez un bouddha avant même de le savoir.
Un article paru dans Tempura N°2, le magazine trimestriel sur les cultures du Japon, disponible en kiosques, librairies et sur www.tempuramag.com
Pour aller plus loin :
- Le zen, une école de bouddhisme japonaise
- Se ressourcer avec le zen
- Le temple Sôji-ji sô-in, où les moines proposent des séances de méditation zazen.
- Le temple Eiheiji, dédié depuis ses origines à la pratique du zazen
- Où faire une retraite spirituelle près de Tokyo ?
- Où faire une retraite spirituelle au Japon ?