Époque Sengoku (1467-1603) : l'ère des provinces en guerre au Japon
Contexte historique et causes de l'époque Sengoku
L’époque Sengoku (1477 - 1573) marque un tournant dans l’Histoire du Japon. Durant cette période de guerres et de luttes intestines, le pouvoir des shoguns est affaibli et passe aux mains des seigneurs locaux. C'est aussi une période d'évolution culturelle : le zen influence la culture et les occidentaux font leur arrivée.
L'époque Sengoku, aussi appelée "époque des provinces en guerre", est une période de grands troubles politiques et sociaux qui s'étend de 1467 à 1603 au Japon. Elle fait suite à l'affaiblissement du shogunat des Ashikaga qui dirigeait le pays depuis 1336.
Plusieurs facteurs ont précipité le Japon dans ce chaos :
- Le déclin du pouvoir central du shogunat, miné par l'assassinat du shogun Yoshinori Ashikaga en 1441 et des querelles de succession. Les shoguns suivants n'exercent plus qu'un contrôle nominal sur le pays.
- La montée en puissance des seigneurs féodaux locaux (daimyos) qui s'affranchissent de l'autorité du shogun et s'emparent du pouvoir réel dans les provinces. Ils entrent en rivalité pour étendre leurs domaines.
- Le phénomène du gekokujō ("le subordonné l'emporte sur le supérieur") : des chefs de guerre de rang inférieur renversent l'élite militaire traditionnelle et prennent le pouvoir par la force.
La guerre d'Ōnin (1467-1477) qui ravage Kyoto, la capitale, sonne le début officiel de l'époque Sengoku. Le conflit entre les clans Hosokawa et Yamana pour la nomination du shogun dégénère et entraîne tout le pays dans une spirale de violence durant un siècle.
Principaux acteurs et événements marquants
Les grandes familles de daimyos qui s'affrontent durant l'époque Sengoku sont les clans Oda, Takeda, Uesugi, Hōjō, Mōri, Shimazu, entre autres. Chacun tente d'accroître son emprise territoriale au détriment des autres.
Certaines batailles restent dans les mémoires par leur importance :
- Okehazama (1560) : victoire surprise d'Oda Nobunaga sur Imagawa Yoshimoto, bien plus nombreux. Première étape de l'ascension des Oda.
- Kawanakajima (1561) : série d'escarmouches épiques entre Takeda Shingen et Uesugi Kenshin. Aucun vainqueur définitif.
- Nagashino (1575) : les arquebusiers d'Oda Nobunaga déciment la célèbre cavalerie des Takeda.
Autre fait marquant, le siège du Hongan-ji d'Ishiyama, forteresse de la secte bouddhiste Ikkō-ikki, par Oda Nobunaga. Il dure 10 ans avant de s'achever en 1580 par la reddition des moines-guerriers.
Organisation politique, économique et sociale des fiefs
Chaque daimyo est maître dans son domaine (han) et y exerce un pouvoir de plus en plus centralisé. Pour asseoir son autorité et entretenir son armée, il :
- Perçoit des taxes sur les paysans, artisans et marchands
- Édicte des codes de lois (bunkoku-hō) pour contrôler ses vassaux et la population
- Fait de son château le centre politique, militaire et économique du fief
- Encourage le développement de l'agriculture, de l'artisanat et du commerce
Les fiefs fonctionnent comme de véritables états dans l'état, avec une large autonomie. Mais les daimyos doivent constamment lutter pour préserver leurs acquis face aux ambitions de leurs rivaux.
Émergence de ligues et communautés locales autonomes
Face aux appétits des seigneurs de guerre, des mouvements de résistance populaire s'organisent :
- Les ikkō-ikki, ligues formées autour du bouddhisme de la Terre Pure, fédèrent paysans, artisans et petits guerriers dans plusieurs provinces. Elles établissent des "républiques théocratiques" qui défient l'autorité des daimyos.
- Des communes paysannes et urbaines s'organisent pour assurer leur sécurité et défendre leurs intérêts face aux exactions des troupes de passage. Certaines, comme celles de Kaga, parviennent à préserver leur autonomie durant des décennies.
Ces révoltes reflètent l'aspiration d'une partie de la population à échapper à l'arbitraire et à l'oppression des potentats locaux. Mais elles seront toutes écrasées militairement ou absorbées par les grands daimyos dans leur entreprise d'unification.
Développement économique et urbain malgré les troubles
Paradoxalement, l'époque Sengoku est marquée par un essor économique et une urbanisation importante, malgré les destructions liées aux conflits incessants.
L'exploitation des mines d'or et d'argent, notamment celle d'Iwami, donne aux daimyos les moyens de financer leurs campagnes militaires. Le commerce connaît un développement sans précédent, porté par l'émergence des villes-marchés comme Sakai et des guildes de négociants.
Les "villes sous château" (jōkamachi) attirent artisans, commerçants et paysans à la recherche de sécurité et de débouchés. Leur population peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d'habitants. C'est là que se forge la culture urbaine de l'époque d'Edo.
Évolution de la guerre avec l'introduction des armes à feu
L'introduction des arquebuses à mèche par les Portugais en 1543 bouleverse l'art de la guerre au Japon. Leur usage se répand très vite grâce aux arquebusiers (teppō) :
- Les daimyos les intègrent massivement dans leur armées. En 1575 à Nagashino, Oda Nobunaga aligne 3000 arquebusiers qui jouent un rôle décisif.
- Les seigneurs adaptent leurs tactiques et formations, avec une place croissante de l'infanterie par rapport à la cavalerie lourde traditionnelle des samouraïs.
- Des artisans japonais produisent des arquebuses en masse et améliorent leur précision et leur cadence de tir.
Le recours aux armes à feu prend une telle ampleur qu'au moment d'envahir la Corée en 1592, Toyotomi Hideyoshi embarque 160 000 hommes dont 1/4 d'arquebusiers ! C'est un tournant majeur dans l'histoire militaire japonaise.
Unification progressive du Japon par trois grands seigneurs
Après un siècle de morcellement et de conflits, le Japon est progressivement réunifié par trois "grands unificateurs" à partir des années 1560 :
- Oda Nobunaga (1534-1582) soumet le centre du pays jusqu'à sa mort en 1582. Fin stratège, il s'appuie sur les arquebuses et mate plusieurs révoltes de moines-guerriers.
- Toyotomi Hideyoshi (1537-1598), fils de paysan devenu le principal général de Nobunaga, lui succède. Il pacifie le reste du Japon mais échoue dans ses tentatives d'invasion de la Corée.
- Tokugawa Ieyasu (1543-1616), vainqueur de Sekigahara en 1600, parachève l'unification et instaure le shogunat en 1603 après la mort de Hideyoshi. Sa dynastie dirige le pays jusqu'en 1868.
Nobunaga et Hideyoshi posent les bases d'un nouveau régime centralisé, avec une séparation nette entre guerriers et paysans, un système fiscal plus efficace et une limitation du pouvoir des temples et des daimyos.
Héritage culturel de l'époque Sengoku
Paradoxalement, ce "siècle de fer" voit l'épanouissement de la culture et des arts, notamment :
- L'esthétique épurée et raffinée de la "culture d'Higashiyama" à la fin du XVe s. (architecture shoin, jardins secs, cérémonie du thé, poésie liée, etc.) développée par le shogun Ashikaga Yoshimasa.
- L'émergence et la diffusion de nouvelles formes culturelles urbaines : théâtre nô et kyōgen, arts martiaux (sabre), arts décoratifs (laques, tissus).
- L'expansion du christianisme suite à l'arrivée des missionnaires européens en 1549, du moins jusqu'à son interdiction en 1612. Ils introduisent de nouvelles techniques (imprimerie) et connaissances (médecine, astronomie).
Cet essor culturel irrigue en profondeur la société de l'époque et jettera les bases de la brillante civilisation de l'époque d'Edo. L'unification réalisée par Nobunaga, Hideyoshi et Ieyasu marque la fin du Japon médiéval et ouvre la voie à une période de paix et de prospérité de près de 250 ans.
Pour revivre cette période charnière de l'histoire du Japon, partez sur les traces des grands seigneurs de guerre dans les châteaux de Himeji, Matsumoto ou encore Kumamoto. Visitez Kyoto, cœur battant du pays depuis cette époque. Imprégnez-vous de cette culture si particulière dans les jardins zen du Ginkakuji et Ryoanji, ou en assistant à une cérémonie du thé. Vous aurez un aperçu unique de la fascinante période Sengoku et de son héritage.